La force de cœur des sœurs hospitalières de la Grande Guerre — Institut Saint Thomas de Villeneuve - Chaville

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La force de cœur des sœurs hospitalières de la Grande Guerre

« Les sœurs hospitalières ont agi en héroïnes mais pour elles, elles n’ont fait que leur devoir »

 

                   

Rencontre avec Agnès Wojciechowski, l’archiviste de la Congrégation, à l’origine de ce projet avec sœur Marie Delphine, assistante générale de la Congrégation.

D’où vous est venu ce goût pour étudier les traces de l’Histoire ?

On ne devient pas archiviste par hasard. A la base j’avais une inclinaison pour l’Histoire. Tout est venu de là. J’ai effectué un Master « Histoire et des métiers des archives » à l’université d’Angers. C’est passionnant d’être à la source de notre histoire. On découvre un impressionnant puits de connaissance face à soi !

Il se trouve que ma mère était institutrice, et se rendait de temps en temps aux archives départementales ou municipales pour préparer des travaux pour ses élèves sur la base de documents historiques. Il lui arrivait aussi de faire des recherches à titre personnel. J’ai découvert les archives en l’accompagnant, et en voyant des fac-similés de documents datant de Napoléon ou de la Révolution que nous avions à la maison. Je trouvais captivante cette dimension patrimoniale à conserver, d’autant que certains documents signés de personnages historiques peuvent être très émouvants à lire.  Je suis sensible aussi à  l’odeur des archives, des papiers anciens…

Comment avez-vous découvert les carnets de bord des sœurs hospitalières ?

Je travaille à la Congrégation depuis 2015. C’est en inventoriant boite après boite, les archives conservées ici, que j’ai découvert tous ces carnets ainsi que les photographies sur plaques de verre. Je me suis dit, il faut absolument valoriser ce trésor dont les sœurs ont pris grand soin.

Qui étaient les sœurs hospitalières  et quel était leur rôle ?

Un petit rappel déjà : la Congrégation Saint-Thomas de Villeneuve a été fondée en 1661 en Bretagne par un religieux augustin, le Père Ange Le Proust. L’objectif des Sœurs, en tant qu’hospitalières, est de venir en aide aux pauvres et aux malades dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Tant matériellement (les soigner, les panser, les nourrir) que spirituellement (en leur permettant de participer à des messes, en les veillant, en assistant aux derniers sacrements pour les mourants, etc...) Pour la période de la Première Guerre mondiale, dans les établissements hospitaliers qui existaient déjà, il a fallu composer avec les bombardements incessants ainsi qu'avec les manques (manque de nourriture, manque de repos, pénurie de médicaments.)  

Les Sœurs faisaient front de toutes parts : elles opéraient, pansaient, géraient la pharmacie, faisaient la cuisine et la lessive, mais s’occupaient aussi des défunts.

Enfin, des ambulances sont installées dans des maisons qui n’étaient pas prévues pour cela, comme ce fut le cas à la maison-mère. Des lits sont placés jusque dans les couloirs, et même la Supérieure générale s’est reconvertie durant 4 ans en infirmière bénévole.

Mais leur rôle ne se cantonne pas aux hôpitaux : leur hospitalité se retrouve aussi dans des établissements scolaires, car dès le XVIIe siècle on leur a confié l’éducation d’enfants de toutes conditions sociales. Dans le cas de Chaville, cela dure depuis 1856 ! 

 

 

Quel est votre rôle en tant qu’archiviste ?

Je suis salariée de la Congrégation et ai en charge les archives historiques de la Congrégation, à savoir celles qui n’ont plus d’utilité administrative. Je travaille donc principalement ici à la maison-mère, où elles sont conservées, mais je peux être amenée à me déplacer, par exemple si une communauté ferme. On peut résumer le rôle de l’archiviste avec « 4C » : collecter, classer, conserver, communiquer. Par cette exposition, nous concrétisons ici l’un de ces objectifs, à savoir la communication.

Comment vous est venue l’idée d’une exposition ?

Je ne travaille pas toute seule. En effet, je suis sous la responsabilité de Sœur Marie Delphine. L’idée de l’exposition est venue à deux. D’autant plus que nous étions en plein dans le centenaire de la première guerre. Elle a aussitôt accepté et proposé de réaliser une exposition. Le travail de préparation a duré un an approximativement. Nous avons tout d’abord réfléchi au fait d’élargir la présentation au public ou de rester sur un partage au sein de la communauté. Ensuite sur la forme de l’exposition, du propos, de l’angle de présentation, des objets à retenir…

                        

Comment avez-vous procédé pour effectuer ces choix ?

J’ai scanné certaines photographies particulièrement fragiles car sur plaques de verre. Cela m’a donné une bonne idée du fond photographique dont nous disposions. En lisant le carnet de Soisson, j’avais une idée des images que je pouvais mettre en parallèle des écrits. De cela est né l’idée du film présenté à l’exposition. Il a fallu faire des choix pour montrer la diversité de ce que les sœurs ont vécu. Des sentiments et des émotions qu’elles ont ressentis. Cela, sans tomber dans la redondance d’information.

Ces recherches dans le passé, permettent de faire revivre l’époque mais aussi les personnes. Cela a dû être très émouvant pour les sœurs d’aujourd’hui …

Ce qu’il faut savoir, c’est que les sœurs n’avaient pas conscience de tout cela.  Même les sœurs très âgées, toujours en vie, n’ont pas connu cette période de l’histoire. La dernière sœur ayant vécu en zone de guerre est morte en 1984 et le récit s’est perdu.... Les sœurs hospitalières ont agi en héroïnes mais pour elles, elles n’ont fait que leur devoir. D’où cette discrétion entourant leur rôle  et leurs actions à cette époque-là.… Ce qui m’a fait bizarre, c’est d’avoir découvert une note de la supérieure générale de l’époque, demandant à ce que tous les carnets soient détruits après la guerre. Ils ne l’ont pas été, heureusement pour nous ! Ils ont dû être cachés, je suppose. Sinon, toute cette mémoire aurait été perdue…

Au cours de ce travail de recherches, qu’est-ce qui vous a particulièrement touchée ?

 Le fait de voir la résistance des sœurs qui ont vécu sous occupation allemande. On me faisait remarquer l’autre jour, que lorsque l’on évoque la résistance, on pense toujours à la seconde guerre mondiale. On oublie que pendant la première guerre mondiale, des personnes ont vécu sous occupation Allemande. Quand je vois que  des sœurs cachaient des soldats français ou anglais en les déguisant en soldat allemand par exemple…  Quand je vois le courage et la ténacité de l’une des sœurs qui écrivait à la Kommandantur pour demander réparation  à chaque fois qu’il y avait le moindre souci...  Toutes ces choses-là montrent qu’elles n’ont pas été passives et ne se sont pas cantonner à soigner uniquement.

Elles ont montré un vrai esprit patriote ! Un vrai esprit de résistance à l’ennemi. C’est cela que je trouve particulièrement émouvant.

Cela explique sans doute pourquoi dans les cahiers, le nom des lieux n’apparait pas…

Pas plus que celui des personnes .Après, j’ai pu deviner et les retrouver parce que j’ai la liste des sœurs présentes à l’époque. J’ai pu identifier les gens et les lieux par élimination et recoupement d’information.

 

 

 

 

Quelle suite envisagez-vous de donner à l’exposition ?

Nous avons plusieurs idées… Déjà, un petit livret pour les communautés qui n’auront pas pu se déplacer. Une trace aussi sur le site de la congrégation.  Il se pourrait que l’exposition ait une suite à Soisson même…

C’est la première fois que la Congrégation propose au public une exposition sur un pan de son histoire.

Comme il s’agit d’une Congrégation, il ne faut pas oublier qu’il y a une culture du secret, de la discrétion. Donc, ce n’est pas chose aisée que de dévoiler son histoire et ses documents. Mais ces derniers temps, on observe un mouvement d’ouverture dans les différentes Congrégations qui donne lieu à une volonté de valorisation des archives.

L’exposition fait partie de ce mouvement d’ouverture, de cet élan de partage.